Initialement, les hommes avaient une opinion positive des corbeaux. La réputation dont jouit actuellement cet oiseau ne fut pas toujours ce qu’elle est aujourd’hui en Europe et ne coïncide pas forcément avec celle des autres peuples.
De nombreuses civilisations entretenaient des rapports empreints de respect avec la nature et les prédateurs faisaient l’objet d’une grande admiration. L’influence du christianisme vint modifier l’échelle des valeurs au sein des sociétés paysannes sédentarisées. La peur de la nature, dont l’homme s’éloignait de plus en plus, s’installa petit à petit. Associés aux grandes épidémies et aux champs de batailles dans lesquels ils apparaissaient en grand nombre, les corbeaux et leurs cousins noirs devinrent des symboles macabres. Leur comportement naturel de charognards autrefois bienvenus fut interprété différemment : perçus comme des profanateurs venant troubler la paix des morts, ils suggéraient la malédiction divine.
Cela dit, beaucoup de peuples ne partagent pas cet avis concernant le corbeau. Alors que certains lui attribuent l’arrivée des nouveau-nés (Transylvanie), d’autres le considèrent comme un symbole du soleil (mythologie chinoise) ou comme une réincarnation divine (brahmanisme).
Même si les superstitions concernant l’oiseau noir tendent à disparaître de nos jours, celui-ci reste souvent mal-aimé à cause de ses cris dissonants.
Le corbeau en sociétéUn corbeau moyen possède une quantité incroyable d’informations sur l’homme, de ses habitudes alimentaires à sa façon de circuler ; mais l’être humain moyen ne connaît que relativement peu d’éléments sur la vie des corbeaux. Ces oiseaux sont les plus communs sur la planète et ils possèdent le plus gros cerveau comparativement aux autres familles d’oiseaux (excepté le perroquet ara). Leur comportement se rapproche donc plus de celui des primates, voire des humains que de celui des autres oiseaux. L’éventail de leurs interactions sociales est large et varié : les corbeaux jouent et chassent en groupe, les adultes enseignent leurs savoir-faire aux plus jeunes, etc., et ils organisent même des mises à mort et des funérailles qui n’ont rien à envier à la maffia.
Il semblerait que les corbeaux tiennent des jugements respectant les lois de la justice. Leurs « tribunaux » se mettent apparemment en place lorsqu’un corbeau s’accapare le nid ou la compagne d’un autre, ou dérobe la nourriture aux jeunes corvidés. À chaque crime sa sanction. Dans le premier cas, le nid illégalement approprié est détruit et le délinquant sévèrement réprimandé ; il doit également reconstruire un nouveau nid pour celui à qui il a porté préjudice. La sanction de celui qui vole la ration alimentaire des petits consiste à être déplumé par ses pairs jusqu’à ce qu’il ait l’apparence d’un oisillon (qui nait sans plumage) ; parfois, il est même banni du groupe. Quant à celui qui s’empare d’une femelle autre que la sienne, les autres corbeaux s’unissent et mettent fin à ses jours en l’assenant de coups de becs.
Ces procès à l’organisation remarquable se tiennent dans des espaces ouverts comme des champs. Les corbeaux qui précèdent leurs congénères attendent le reste du groupe ; cela peut prendre plusieurs jours. Pendant ce temps, il semblerait que le criminel soit étroitement surveillé. Lorsque l’assistance est au complet, le procès commence : les corbeaux se mettent à croasser, reprochant probablement à l’accusé les méfaits constatés. L’inculpé semble se défendre en croassant à son tour, mais les témoins crient en battant des ailes, mettant fin à toute mauvaise foi. Le responsable finit par se taire et baisser vivement la tête, avouant ainsi son crime.
Après la mise à mort du coupable, tous les corbeaux s’envolent. Seul un oiseau resterait pour s’occuper de l’inhumation de l’oiseau mort. Pour les corbeaux, la culpabilité ne diminue en rien le respect dû à la dépouille d’un des leurs.
Dans le monde de ces oiseaux exceptionnels, la justice semble être instinctive et absolue.
Toutes les expériences et observations menées concernant les corvidés révèlent une forme d’intelligence indubitable. Ils sont capables de constater un fait, de l’analyser et d’ajuster leur comportement face à une situation nouvelle afin de mieux anticiper l’avenir et d’améliorer leur condition. Ces facultés indiquent une flexibilité et une adaptabilité très aiguës. Ils comprennent ce que les autres font, et anticipent leurs intentions : ces aptitudes font amener un biologiste à la conclusion suivante : les corbeaux seraient cotés de conscience !
Comme le dit si bien le Révérend Henry Beecher : « Si les hommes
avaient des ailes et qu’ils portaient des plumes noires, peu d’entre eux seraient assez malins pour être des corneilles. »
Ce n’est donc pas étonnant que Dieu ait confié à un corbeau
la lourde responsabilité d’enseigner à l’homme comment enterrer son frère !